Chez un antiquaire qui souhaite garder l'anonymat, je me suis offert ces jours-ci un révolver Lefaucheux, même époque et même type de système que celui qui a été vendu chez Christies mais j'ai payé mon petit fantasme 80 euros soit 5000 fois moins cher que sa cote actuelle !
En effet, celui qui a acheté l'arme présumée authentique qui aurait servi à Verlaine à blesser Rimbaud a déboursé pas moins de 435 000 euros et des poussières (de poudre à canon). Outre le record hallucinant qu'on enregistre au crédit de la "passion Rimbaud" , on mettra de côté le caractère anecdotique de cette ustensile dans l'oeuvre-vie" du poète maudit.
Car à ce prix, à la différence d'un manuscrit original ou d'une photographie inédite, l'acheteur ne peut s'appuyer que sur sa foi dans la garantie des experts. Il n'a aucun moyen tangible de vérifier par lui-même si cette arme de poche a bien été dans la main de Paul Verlaine.
La preuve majeure des experts consistant à affirmer qu' elle n'a servi qu'une fois, et qu'elle provient de la famille de l'armurier qui l'avait récupérée après le procès. Il peut sembler étonnant que cette arme ait été conservée plus d'un siècle dans un tiroir sans qu'on y songe à en tirer quelque profit auparavant.
D'ailleurs, en théorie, l'arme appartient toujours à Verlaine, ce dernier a juste oublié d'aller la réclamer à l'armurier après son séjour en prison en Belgique pendant deux ans. Les descendants de Verlaine peuvent-ils tenter quelque chose ? Non car, après un et un jour, personne n'ayant récupéré l'arme, c'est comme pour un objet trouvé, il appartient à celui qui l'a trouvé. Il demeure curieux que l'armurier l'ait conservé si longtemps.
Par ailleurs, un collectionneur ardennais prétend lui aussi être en possession depuis plus de cinquante ans de l'authentique Lefaucheux de Verlaine. Mais entre 1873 à nos jours, l' arme qu'il possède a servi pour tirer d'autres balles, ce qui compromet sa "quasi-virginité."
Nous avons donc d'un côté une arme quasi neuve d'époque, conservée comme une relique pendant 120 ans, certifiée par Christies, et une autre arme d'époque, certes, mais qui a circulé de mains en mains pendant la même période.
Pour revenir à mon petit revolver, il est un petit peu différent, son canon est octogonal, et la crosse est différente mais il fonctionne sans pouvoir tirer de balles, car ce type de munition n'est plus fabriqué. Il est donc inoffensif.
Quant à son histoire, je l'ignore mais je peux me permettre de tout imaginer. Il a pu appartenir à un bourgeois noctambule, à une prostituée, à un tricheur au jeu souhaitant se prémunir contre tout règlement de compte, à un mari jaloux, à un meurtrier ou à un suicidaire, peut-être tout à la fois et successivement !!!
Car il ne faut pas se voiler la face, cela reste une arme fabriquée et apte à tirer des projectiles. Posséder en poche un tel revolver impliquait qu'on puisse un jour le pointer sur un adversaire pour le menacer, pour le blesser et pour le tuer.
Ce petit objet ira prendre une retraite méritée dans ma vitrine, à côté d'une montre à gousset , d'un appareil photographique identique à celui que Rimbaud utilisait en Afrique et d'autres objets anciens évoquant cette même période.