mardi 22 mars 2016

Equinoxe carolopolitaine











Ce week-end du 19-20 mars 2016 qui correspondait à la fois à l'équinoxe de printemps et aux derniers jours du printemps des Poètes  aurait dû être le point d'orgue de cette manifestation nationale, à plus forte raison à Charleville-Mézières, la ville natale d'Arthur Rimbaud souvent reconnu comme le génie mondial de la poésie.

Mais comme une équinoxe où le jour et la nuit sont d'égale longueur, le sentiment ressenti est parfaitement mitigé. Nous avons éprouvé de façon symétrique et opposée autant de plaisir que de déception.


Le plaisir, c'était d'abord d'être à Charleville.
C'était aussi d'assister à une conférence de Yanni Hureaux.  Un régal et pour certains d'entre nous, venus de Paris, un motif suffisant à lui seul.
Étrangement, cet événement ne mobilisa pas comme il l'aurait mérité.

Notre délégation parisienne de l'association des amis de Rimbaud s'attendait à un accueil un peu plus chaleureux en cette matinée glaciale. Nous ne venions pas d’Éthiopie, certes, quoique certains d'entre-nous, de l'association Charleville-Harar, s'y trouvaient encore il y a trois mois. Pour trois amis de Rimbaud, c'était leur première visite à Charleville, motivée par Arthur Rimbaud.
 L'époque semble révolue où ces visiteurs étaient accueillis à bras ouverts par le maire en personne avec un verre d'amitié.
Aucun membre de l'équipe municipale n'est venu nous rencontrer à un quelconque moment de la journée dont le programme avait été publié dans le journal.
Une ballade dont le parcours est annoncé, un déjeuner à "l'eau à la bouche" un restaurant servant une cuisine locale traditionnelle, une visite groupée du Musée Rimbaud puis une conférence d'une personnalité régionale dans l'auditorium du Musée de l'Ardenne, dans une ville quasi déserte.


Même Yanni Hureaux a dû se dire ce jour là que décidément, nul n'est  prophète dans son pays.

Mais les admirateurs d'Arthur savent le temps qu'il a fallu pour que Charleville célèbre son poète. Tout d'abord, ce fut une légère évocation  dans une salle dans le Musée de l'Ardenne, puis une salle entière. Puis cette salle fut transférée dans le vieux moulin, édifice contemporain de la place Ducale, qui au fil des années et depuis le centenaire de sa mort en 1991, est devenu le Musée Rimbaud; et enfin jusqu'à la dernière mouture inaugurée en 2015 sur laquelle il y a hélas plus matière à critiquer qu'à s'esbaudir .

Faisons notre autocritique. Plutôt que l'auditorium du Musée de l'Ardenne, nous aurions dû pour plaire au plus grand nombre choisir comme cadre une péniche sur la Meuse, allumer les lampions, faire venir un accordéoniste et que le vin coule à go-go !
Peu importe qu' on dénature l'oeuvre de Rimbaud par de grotesques célébrations; si les gens sont heureux de faire la fête, c'est le principal. Pour célébrer Rimbaud, point de bavardage ennuyeux et besogneux, dansons, chantons, buvons.
"Panem et circenses"; les empereurs de Rome avaient tout compris avec 2000 ans d'avance !

Hélas, Rimbaud n'a 1000 ans d'avance que depuis seulement un siècle et demi. Nous ne connaîtrons pas son véritable avènement, mais dans 800 ans, les historiens auront bien du mal à comprendre notre façon de valoriser notre patrimoine culturel.


Il en va de même pour la nouvelle scénographie du Musée Rimbaud, pensée par les mêmes cerveaux compliqués que la Maison des Ailleurs, située sur le quai Arthur Rimbaud adjacent au moulin Musée. 

Vouloir comme Arthur  "s'entêter à adorer affreusement la liberté libre" n'excuse pas tout. Et d'avoir défiguré un monument ancien, à savoir probablement le plus beau moulin à eau du monde, il faudra bien n'être pas Ardennais pour le pardonner .   

Aussitôt passé la porte principale, nous changeons de dimension. L'extérieur raffiné et exceptionnel était un leurre; nous croyions entrer dans un temple avec ses colonnes ioniques à bagues, nous sommes dans une cage d'escalier étriquée, noire, sombre, avec des ampoules bleues sur le mur noir que l'on peut confondre avec des patères lumineuses pour vestiaire branché de night-club.
Pour commencer, il faut monter dans le grenier pour redescendre ensuite. Une ascension, pour gagner l'ivresse de l'altitude puis la descente aux enfers ?
Ou bien l'illustration de cette phrase de Rimbaud : "Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j'ai connu le monde" ("Vies", Les Illuminations) .
Dans le grenier du vieux moulin repeint de blanc gris-bleuté, il n' y a que des chaises sous des douches sonores qui livrent des emboitements de poèmes, si on a la patience de les écouter .
"On ne part pas
" du grenier sans une certaine interrogation .
Au niveau inférieur, le deuxième étage, des vitrines sont adossées à la monumentale cage d'ascenseur, cube métallique  évoquant une "panic room" ou un bunker. 


Le progrès des Ardennes où Arthur publia en 1870 Le rêve de Bismarck sous le pseudonyme de Jean Baudry

L'intrigant cabinet de curiosités
L'étage intitulé "rêveries" présente un mélange d'oeuvres contemporaines en hommage à Rimbaud et des documents biographiques dont la plupart sont reproduits sur des écrans de smartphones.  Pour nous guider, il faut arracher une feuille explicatives d'un bloc fixé au mur. 
Poser une étiquette à côté des pièces présentées doit être d'un ringard !  L'organisation n'est pas chronologique. On cherche la cohérence.
Rimbaud blessé
Peut-être faut-il partager le génie chaotique de Rimbaud pour comprendre "que ça veut dire ce que ça dit et dans tous les sens" !
Une salle dite des manuscrits est plongée dans le noir tandis que dans une vitrine, une lumière rouge irrigue quelques lettres et photographies, sans doute originales vu le luxe de soin pour leur préservation. Il faut être graphologue pour déchiffrer l'écriture menue de Rimbaud. Le même texte imprimé en renfort de lecture n'aurait pas été de trop.





Finalement, la cabine de l'ascenseur est définitivement le seul espace vraiment compréhensible.  Il y a des boutons avec les chiffres correspondant aux étages, et d'autres commandant l'ouverture ou la fermeture des portes.  
Car sorti de l'ascenseur, le visiteur est à chaque étage dans un monde incompréhensible, hermétique, conceptuel, abstrait. Une fois de plus, Rimbaud est desservi par ceux qui croient lui rendre hommage.
Le problème supplémentaire est que l'ascenseur - sans doute obligatoire pour les handicapés - a défiguré l'intérieur du musée et même l'extérieur car sa cage cubique dépasse sous les arches du moulin.


Les Carolopolitains ne sont pas prêts de se réconcilier avec leur enfant maudit, jugé à tort responsable de ces hommages outrageants pour le patrimoine architectural. Rimbaud n'aurait pas demandé ça.

Ma dernière stupeur a lieu en empruntant la passerelle sous l'arche à la découverte d'une affiche originale d'Ernest Pignon-Ernest, jadis collée sur un des piliers dans la salle principale du Musée.  Remise ici, quelques mètres au dessus du lit de la Meuse, elle reçoit toute l'humidité possible. Des traces de ruissellement ont déjà attaqué la moitié de l'oeuvre.  Qu'en restera t'il dans quelques années ? Bien sûr, l'artiste est un spécialiste de cette démarche consistant à voir le temps naturellement opérer. Mais quand il avait fait don de cette affiche, rescapée de sa série de 1978, elle était destinée à demeurer intacte à l'intérieur du musée. 


Quelle contradiction de voir un support papier livré à l'épreuve de l'eau  en comparaison de l'excès de précaution pour exposer dans une lumière de sous-marin ou digne d'un reliquaire moderne des photographies et des lettres de la fin du XIXème siècle quand à la Bibliothèque Nationale, on peut admirer des enluminures médiévales bien mieux éclairées !
Nous sortons de là "effarés" et gagnons l'île, défigurée elle aussi, par un jardin de fleurs blanches symbolisées par des loupiotes blanches suspendues propres à éclairer un bal musette et menant à un belvédère urbain en béton gris nommé "adieu". C'est le mot de la fin et c'est exactement ce qu'on se dit.  Adieu, je ne suis pas prêt d'y remettre les pieds.



Même les saules qui pleuraient dans la Meuse ont été coupés. Il n'en reste que les souches.  Et ce n'est pas un accident. C'était prévu dans le plan. Rénovation rime avec destruction.On se demande quelle est la mission d'un conservateur du patrimoine ? 






"La vraie vie est absente" ....du Musée Rimbaud. 
Mais nous en retrouvons heureusement quelques fragments distillés avec amour et humour par Yanni Hureaux, nous réconciliant aussi avec Rimbaud et les Ardennes, à des années lumières de cette rimbadolatrie qui saccage tout. 
En marge de sa conférence, Yanni Hureaux nous dit qu'il y a antagonisme entre Rimbaud  et le principe de musée. Concevoir un "atelier Rimbaud" eut été plus approprié, un lieu vivant ou néophytes, amateurs et spécialistes y auraient trouvé matière à recherche, découverte et même expression, échange. Un concept qu'il a suggéré aux autorités concernées. A t'il été écouté ? On se le demande, il est question de rebaptiser l'ensemble des lieux Musée Rimbaud plus maison des Ailleurs en "Pôle Rimbaud". En tant que tel, c'est déjà amusant à défaut d'être ridicule, on pense à Pôle Emploi. Mais surtout, on entend Pôle comme le Paul de Paul Verlaine. Lapsus lacanien ?  Heureusement qu'il n'y a pas de "Pôle Verlaine" en projet.
Yanni Hureaux le 19 mars au Musée de l'Ardenne

A venir, un compte-rendu de la conférence de Yanni Hureaux sur "Rimbaud l'Ardennais"



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