Une conférence à laquelle j'ai assisté en janvier dernier m'a inspiré une série de réflexions concernant les phénomènes de transmission de la mémoire ancestrale dans la famille d'Arthur Rimbaud.
Aux notes que j'ai prises durant cette conférence dont je salue au passage le travail extraordinaire, j'ai ajouté un certain nombre d'éléments trouvés dans les différentes éditions des biographies et oeuvres complètes que ce soit celle de Robert Laffont (Coll° Bouquins) ou dans la même collection du Dictionnaire Rimbaud de Jean-Baptiste Baronian, ou enfin la biographie de Jean-Jacques Lefrère. (éd° Fayard) . Même si toutes les hypothèses ne sont pas encore solidement étayées, elles ne constituent pas moins des indices, voire des pistes à approfondir .
De
nombreux évènements de la vie du poète maudit pourraient être les échos inconscients de
faits douloureux vécus par ses ancêtres. En scrutant les vies des
ascendants d’Arthur Rimbaud sur quatre générations et en se limitant à
la branche paternelle, des indices troublants
éclairent différemment la vie de « l’homme aux semelles de vent ».
L'enquête doit rassembler sur au moins quatre
générations les éléments généalogiques consignés pour la plupart dans
les registres de l’état civil et les documents de famille (noms,
prénoms, dates de naissance, mariage, décès, composition des fratries,
professions, etc.).
Une attention
toute particulière est par exemple accordée aux prénoms et aux noms,
marqueurs identitaires.
Il convient pour étudier le cas de Rimbaud d’avoir accès à son arbre généalogique.
Les Rimbaud sont originaires de Nantilly en Haute-Saône où la famille
est attestée dès la fin du XVIIème siècle. Les Rimbaud étaient
ouvriers-vignerons, Gabriel (1680-1735) a eu parmi ses enfants Jean (né
en 1730) qui nous intéresse car il est l’arrière-grand père d’Arthur
Rimbaud.
Jean, cordonnier, épousa en secondes noces en 1777
Marguerite Brotte -ou Brodt - ( 1752-1829). Le couple devait mener une
vie conjugale orageuse car à la suite d’une dispute, en 1792, Jean
quitta le domicile et ne reparut jamais. De son union avec Margueritte
était né Didier (1786-1852) qui avait donc 6 ans quand son père
abandonna le foyer familial.
Didier se souvient peut-être (ou sa
mère le lui a révélé) que son père était parti à pied et à moitié
dénudé, voire même pieds nus. L’auditeur se demande avec facétie si le
proverbe « les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés » trouve
ici une origine ou une confirmation. Mais surtout est-ce pour conjurer
le souvenir de la fuite du père en guenille que Didier, le fils, sera
tailleur d’habits ? Ce qu’est devenu ensuite Jean nous reste inconnu.
On
peut signaler qu’un dénommé Rimbaud est impliqué pendant la Terreur à
Dijon en 1794 mais il n’y a aucune certitude qu’il s’agisse de Jean.
Qu’il soit devenu un « sans-culotte » zélé ne manquerait pas de
cocasserie dans la logique déjà citée plus haut. S’il disparaît sans
laisser de trace, Jean lègue en revanche à ses descendants une « crypte
encombrante » contenant le traumatisme de l’abandon de famille.
De son côté, Marguerite Brotte se remarie deux fois, d’abord avec un
déserteur Danois puis avec Berger un forain qualifié de sans domicile
fixe. Il est saisissant qu’une femme abandonnée par son premier mari
soit amenée à rencontrer ensuite deux hommes marqués eux aussi par la
désertion et l’errance!
Didier exerce sa profession de tailleur à
Parcey dans le Jura puis à Dole où il épouse en 1810 Catherine
Taillandier qui lui donne quatre enfants dont le quatrième, Frédéric est
né le 7 octobre 1814. Antoine Pacouret, un ami de la famille, est un militaire servant dans le 46ème Régiment
d’Infanterie de Ligne. S’il n’a pas de lien de parenté avec les Rimbaud,
il remplira la fonction de père de substitution et de héros de la
famille pour sa participation dans les campagnes napoléoniennes. Antoine
Pacouret est en tout cas une référence pour Frédéric Rimbaud qui
embrassera lui aussi la carrière militaire dans le même régiment au
début, ( et le 47ème ensuite en 1850) et qui comme lui encore sera
décoré de la Légion d’Honneur, en 1854 quelques mois avant la naissance
d’Arthur. Cette proximité de date entre la décoration du père et la
venue au monde du fils n’est pas innocente car souvent le fantasme
d’identification crée un fantôme et le porteur de ce fantôme se trouvera
être Arthur Rimbaud.
Rimbaud le fugueur
Arthur Rimbaud
possède un goût addictif pour la fugue et pour la marche. Faut-il
rappeler qu’avant d’abandonner définitivement le foyer familial, son
arrière grand-père était compagnon cordonnier, statut qui implique un
tour de France qui se faisait à pied.
Quant à son père Frédéric, soldat
dans l’infanterie, il était aussi par la force des choses un marcheur.
Le voyage, le mouvement et la marche apparaissent dès les premières
lignes du collégien, dans un devoir en latin qui figure au début des
œuvres complètes d’Arthur Rimbaud « Ver erat …» / « C’était le
printemps.. » :
Ver erat, et morbo Romae languebat inerti Orbilius
// C’était le printemps et Orbilius souffrait à Rome d’une maladie qui
l’empêchait de bouger .
Pour sa convalescence Orrbilius gagne « les
riantes campagnes » Puis quelques lignes plus loin: Interea longis
fessos er oribus artus // Cependant, j’avais tous les membres rompus
par mes longs vagabondages.
On remarque d’emblée une assonance entre
le mot latin artus qui signifie membre (racine latine qui a formé le
mot articulation ) et le prénom Arthur mais cela revêt une signification
troublante en évoquant les circonstances de la mort à 37 ans de
Rimbaud, amputé de la jambe droite et paralysé des autres membres,
renvoyant au spectre de son personnage Orbilius.
Dans la suite du
poème, un cortège aérien de colombes le soulève et le transporte vers
les nues élevées où son front est ceint d’une « couronne de laurier
tressé, semblable à celle d’Apollon » et Phébus lui-même écrit sur sa
tête avec une flamme céleste: « TU VATES ERIS… // TU SERAS POETE ! »
Dans les années suivantes, Arthur Rimbaud n’aura de cesse de vouloir accomplir cette prophétie juvénile.
Et si Arthur remplace fantasmatiquement son aïeul Jean qui comme lui
s’en est allé à pied sur la route, une résonnance supplémentaire est
mise à jour entre l’ancêtre cordonnier, dont le métier est appelé en
argot « bijoutier sur le genou » parce qu’il ferre les semelles avec des
clous nommés bijoux, et celui que son ami Ernest Delahaye surnommera «
l’homme aux semelles de vent ».
Les deux premiers vers de « Ma bohème » l’illustrent parfaitement :
Je m’en allais les poings dans les poches crevées
Mon paletot aussi devenait idéal,
Le paletot, pardessus, devenant idéal signifie qu’il n’a plus de
paletot que le nom, c’est une idée de paletot. Ces vers pris isolément
sont toujours aussi magnifiques mais en les rapprochant du souvenir de
la fuite dénudée de son trisaïeul, ils résonnent de manière encore plus
symbolique, argumentant l’idée d’une répétition dans le temps d’un acte
ancestral. Même si cela reste pour le moment dans un registre purement
poétique, ici affleure la racine d’un destin convié à épouser des
chemins déjà pratiqués, que ce soit pour des vagabondages, des
expéditions militaires, des pérégrinations d’agrément ou des voyages
d’affaire.
La première fugue de Rimbaud a lieu pendant la guerre
avec la Prusse en 1870. Tandis que le grand-frère Frédéric s’est engagé
dans la garde nationale, Arthur en a été refoulé car trop jeune, il n‘a
pas encore 16 ans. Sans prévenir sa mère, Arthur se rend à Paris fin
août 1870 en passant par la Belgique mais se fait arrêter Gare du Nord à
cause d’un billet de train non valide. Il est envoyé à la prison de
Mazas d’où il sort en septembre grâce à l’intervention de son professeur
Izambard. Avant de rentrer affronter le courroux maternel, il passe
quelques jours salutaires à Douai où son professeur peut l‘héberger.
Les voyages d’Arthur Rimbaud peuvent également s’assimiler à une
répétition du trajet du soldat Antoine Pacouret, le père de substitution
de Frédéric. Arthur parcourt des distances quotidiennes comparables aux
marches forcées des armées de Napoléon.
Dans «Une saison en
enfer», il confesse avoir «vécu partout. Pas une famille d’Europe que
je ne connaisse. » A cette date, il connaît déjà Paris, Londres et
Bruxelles mais c’est après 1873 que ses périples s’intensifient. Dans
son insatiable errance, Rimbaud visite les villes de Milan, Sienne
Livourne en Italie (mai -juin 1875) Vienne en Autriche (avril 1876),
Rotterdam aux Pays-Bas (mai 1876) , Semarang sur l’île de Java (juillet
1876) Stuttgart (février-avril 1875) et Brême ( mai 1877) en Allemagne.
Le nom de Rimbaud est porté au registre des étrangers présents à
Stockholm en Suède en juin 1877. Ernest Delahaye rapporte le voyage de
Rimbaud en août 1877 à Copenhague au Danemark qui est pour rappel la
patrie de Fransen le second mari de son aïeule Margueritte Brotte.
En novembre 1878, ce n’est certes pas la Berezina, mais Arthur Rimbaud
narre dans une lettre écrite à Gènes son exploit récent : la traversée
du Col du Gothard enneigé. Son expérience du « grand embêtement blanc»
pourrait facilement se transposer dans l’hiver de la retraite de Russie
de 1812.
Il embarque pour Alexandrie le 19 novembre 1878 alors que son
père vient de mourir à Dijon deux jours plus tôt. Rimbaud trouve du
travail à Chypre où il reste six mois. En mai 1879, malade, Rimbaud
rentre une nouvelle fois à Roche en France. Il retourne à Chypre l’année
suivante au printemps 1880 puis au Yémen à Aden en juillet 1880. Enfin
ce sera Harar en Ethiopie qui abritera sa résidence principale de 1880
jusqu’au début de l’année1891.
Dans «Une saison en enfer», Rimbaud
préfigure le concept d’analyse transgénérationnelle en démontrant
comment les égarements de son ascendance expliqueraient ses errances
actuelles. A ce stade de la conférence, il nous apparaît avec évidence
que plusieurs passages en particulier de « Mauvais Sang » illustrent de
manière poétique une préscience de ce qui fondera un siècle plus tard le
principe de la généalogie analytique: « J’ai de mes ancêtres gaulois
l‘œil bleu blanc, la cervelle étroite et la maladresse dans la lutte […]
Si j’avais des antécédents à un point quelconque de l’histoire de
France! Mais non rien. » Puis Rimbaud fait une énumération fantasmée de
toutes ces vies possibles dont il serait le maillon final dans une
chaine de réincarnations successives de la même âme. « J’aurais fait
manant le voyage de terre sainte, j’ai dans la tête des routes dans les
plaines souabes, des vues de Byzance, des remparts de Solyme, […] Je
suis assis, lépreux, sur les pots cassés et les orties, au pied d’un mur
rongé par le soleil. - Plus tard, reître, j’aurais bivouaqué sous les
nuits d’Allemagne. […] Qu’étais-je au siècle dernier : je ne me
retrouve qu‘aujourd‘hui. »
Voyageur impénitent, Rimbaud espérait
toutefois se fixer et fonder un foyer. Il avait critiqué à distance son
frère Frédéric pour ses choix de vie et en même temps demandait à sa
mère de lui trouver en France une épouse convenable. En Ethiopie, une
expérience de vie maritale tourna court avec Mariam, une femme Danakil
qu’il renvoya chez elle.
A part son compagnonnage, scandaleux pour
l’époque, avec Verlaine, on ne connaît aucune liaison stable chez
Rimbaud. Est-ce là encore l’effet obscur d’un atavisme familial opérant
sur sa vie à l‘insu de Rimbaud ? Ayant vu son père Frédéric abandonner
femme et enfants ( tout comme avant lui Jean) Arthur pouvait-il fonder
une famille ? Peut-être mais pas avant d’avoir fait fortune.
A
nouveau, c’est un passage de « Mauvais sang » qui semble esquisser ses
velléités à moins qu’il ne prophétise partiellement son destin
personnel: « Ma journée est faite; je quitte l’Europe. L’air marin
brûlera mes poumons; les climats perdus me tanneront. […] Je reviendrai
avec des membres de fer, la peau sombre, l’œil furieux: sur mon masque
on me jugera d’une race forte. J’aurai de l’or: je serai oisif et
brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays
chauds. » L’épouse qu’il envisage pourrait être une femme dévouée à
assurer le repos d’un guerrier fortuné mais blessé. Blessé, il le sera.
Soigné par une femme également mais par sa sœur. En revanche, il a
manqué son principal objectif: la fortune qu’elle soit acquise par les
affaires ou par la guerre. N’étant décidément pas disposé à se faire
guerrier, il aura vainement tenté de s’enrichir grâce à la guerre.
Rimbaud le déserteur
Un premier signe est repéré dans son ascendance; son arrière
grand-mère, Marguerite Brotte épouse en secondes noces Fransen un
déserteur Danois. Ce dernier meurt à 37 ans le 23 août 1797. C’est
également un 23 août, en 1891, que Rimbaud revient se faire soigner à
Marseille pour être à proximité du port et prêt à embarquer pour
l’Afrique dès que son état le lui permettra. Il meurt moins de trois
mois plus tard âgé à son tour de 37 ans.
Mais une autre coïncidence
est mise en évidence: même si Fransen n’est pas son ancêtre direct,
Rimbaud sera lui aussi déserteur. Engagé dans la marine néerlandaise
dans la seule fin de toucher la prime de 300 florins (600 francs-or) ,
il a embarqué le 10 juin 1876 de Harderwijk près de Rotterdam et a
déserté à Semarang sur l’île de Java pour réembarquer comme matelot,
sous un faux nom, à bord un navire écossais, épargnant ainsi sa prime,
et se trouver à Charleville en décembre de la même année.
Isaac Israëls, Het transport der kolonialen (Transport of the Colonial Soldiers), showing recruits for the Royal Netherlands East Indies Army marching through Rotterdam to their transport to the Dutch East Indies[1] |
On a la trace
que Rimbaud a tenté de s’engager à Brême dans la marine américaine par
une lettre d’engagement dans laquelle il se déclare en toute sincérité
déserteur de l’armée hollandaise et cite de fictifs états de service au
47ème régiment d’infanterie - celui de son père - car Rimbaud n’avait
jamais effectué son service national. Ce qui fait de lui une deuxième
fois un déserteur.
A ce propos, la crainte d’un rappel de ses
obligations militaires par les autorités françaises l’a hanté
perpétuellement au point d’indiquer un faux nom pour se faire admettre
en mai 1891 à l’hôpital de Marseille où il subira son amputation. Cette
infirmité l’exemptait de facto de tout service militaire mais il a
négligé cette évidence dans sa névrose obsessionnelle et cela jusqu’au
seuil de sa mort.
Peut-être faut-il voir dans la mauvaise
conscience d’Arthur Rimbaud vis-à-vis de la chose militaire le leg
encombrant d’Antoine Pacouret, le héros de la Grande Armée, vétéran de
la campagne de Russie et blessé à la jambe gauche et au bras droit.
Alors que Frédéric s’est pleinement inspiré de ce père de substitution
en participant à la conquête de l’Algérie ( embarquant lui aussi un 10
juin mais 35 ans plus tôt en 1841. Frédéric Rimbaud a pris part à la
Guerre de Crimée, connaissant à son tour l’ennemi russe et a obtenu, en
même temps qu’un poste important dans l’administration arabe, le grade
de capitaine supplantant cette fois son modèle. Mais sa progression dans
la hiérarchie militaire s’arrête là, freiné probablement par ce qu’on
appelle une « névrose de classe » qui lui aurait fait passer un
avancement supérieur pour une trahison. L’obtention de la Légion
d’Honneur par Frédéric Rimbaud constitue probablement le point d’orgue
de sa carrière égalant une fois de plus son modèle, Antoine Pacouret.
C’est donc une fée en uniforme qui s’est penchée sur le berceau Rimbaud
né quelques mois plus tard …rue Napoléon !
Dans la composition
intitulée « prologue » le jeune collégien Rimbaud présente un père
officier Colonel des Cent-Gardes à Reims en 1503 qu’il décrit comme un «
homme grand et maigre, chevelure noire, barbe, yeux, peau de même
couleur. […] Il était d‘un caractère vif, bouillant, souvent en colère
et ne voulant rien souffrir qui lui déplût» Pense-t’il encore à son père
conquérant l’Algérie quand dans une autre composition en latin cette
fois « Jugurtha » le jeune Arthur célèbre « un nouveau vainqueur du
chef des Arabes » ? Arthur se transpose t’il dans le fils promis à
devenir le « vengeur de la patrie » ?
Dans le même texte Rimbaud
voit du Jugurtha dans Napoléon « Napoléon ! Oh! ? Napoléon! …Ce
nouveau Jugurtha est vaincu! …Il croupit, enchaîné, dans une indigne
prison! » A la date où Rimbaud écrit ces lignes, il faisait allusion
au sort de l’empereur à Sainte-Hélène, il lui aurait fallu des dons
d’extra lucidité pour prévoir que Napoléon III capitulerait à Sedan en
1870 et finirait ses jours en captivité comme son auguste prédécesseur.
Arthur baigne véritablement dans la culture colonialiste du moment
quand il rend hommage tant à son père qu’au rôle civilisateur de la
conquête de l’Algérie par la France « La France va briser tes chaînes et
tu verras l’Algérie, sous la domination française, prospère! »
Par la suite, en dépit de cet héritage glorieux, Arthur Rimbaud n’a
jamais recherché les honneurs offerts par la carrière militaire. Il ne
s’est enrôlé dans l’armée hollandaise que dans un but lucratif et
malhonnête afin d’empocher la copieuse prime et de déserter à la
première occasion, bref d’arnaquer l’armée, manière inconsciente de tuer
son père en trahissant les notions d’honneur et de droiture qui avait
régi sa carrière sous les drapeaux.
Mais Rimbaud prenait-il une revanche
sur l’abandon de famille par son père en rompant un contrat
d’engagement militaire ? Déserter son foyer est-il autre chose que la
rupture d’un contrat de mariage?
Pourtant, le destin de Rimbaud tourne autour de l’armée, de la guerre et des armes.
Si les historiens se divisent sur sa participation à la Commune de
Paris, il est plus probable que Rimbaud ait appris le maniement des
armes dans cette période de menace d’invasion prussienne en assistant à
Douai à un entrainement au tir avec son professeur Izambard.
C’est par un coup de pistolet tiré par Verlaine en juillet 1873 que sa liaison avec son ami prend fin.
En Afrique, Rimbaud se fait trafiquant d’armes auprès de Ménélik. A
plusieurs reprises, il exprime le souhait de couvrir le conflit entre
l’Abyssinie et l’Italie en tant que correspondant de guerre se
retrouvant ainsi dans la délicate situation de juge et partie.
Pourtant,
on peut voir dans ces ambitions un saisissant revirement d’opinion avec
l’époque où il critiquait ouvertement ses compatriotes et concitoyens
de Charleville assiégée dans la lettre qu’il adresse à son professeur
Izambard le 25 août 1870: « C’est effrayant de voir les épiciers
retraités qui revêtent l’uniforme! C’est épatant comme ça a du chien,
les notaires, les vitriers, les percepteurs, les menuisiers et tous les
ventres, qui chassepot au cœur, font du patrouillotisme aux portes de
Mézières: ma patrie se lève! …Moi, j’aime la voir assise; ne remuez pas
les bottes ! c’est mon principe. »
Le 17 avril 1871 Arthur confie
auprès de Paul Demeny son overdose de la littérature de guerre au retour
d’un séjour chez les libraires parisiens: « […] Que chaque libraire ait
son Siège, son journal de siège -Le siège de Sarcey en est à sa 14e
édition - que j’aie vu des ruissellements de photographies et de dessins
relatifs au Siège. […] Telle était la littérature du 25 février au 10
mars. […] »
Rimbaud se montre ironique encore au sujet de l’idéal
militaire dans les dernières lignes de «Mauvais sang » : « Feu ! feu
sur moi ! […] Je me tue! Je me jette aux pieds des chevaux! […] Ce
serait la vie française, le sentier de l’honneur ! » La recherche de
l’honneur si cher à son père n’était décidément pas la priorité d’Arthur
Rimbaud.
Rimbaud et son « autre Je » au seuil de la mort.
Dans ses correspondances, Arthur Rimbaud s’inquiétait de mourir loin de
chez lui sans que personne n’en sache rien. Pourtant, pour l’état
civil, Jean-Nicolas Arthur est mort à Marseille sous le nom raccourci de
Jean Rimbaud. Sa mort le 10 novembre 1891 est passée inaperçue comme il
le redoutait et l’enterrement s’est tenu en secret en présence de sa
sœur Isabelle et de sa mère Vitalie. Frédéric son grand-frère n’y était
pas convié. Même ses anciens amis apprendront sa mort avec retard tel
Verlaine fin décembre 1891. Pareil pour Alfred Ilg l’ingénieur Suisse
conseiller de Ménélik qui apprend la disparition de son ami français en
1892.
En 1871, l’ intuition que quelque chose d’impalpable agit sur
nous s’était déjà révélée à Rimbaud et il le livrait dans la désormais
mythique « lettre du voyant », prenant à rebrousse-poil le cogito ergo
sum de Descartes: « c’est faux de dire je pense: on devrait dire : on
me pense -pardon du jeu de mots - ( Avec on me panse. Lapsus lacanien
prémonitoire pour celui qui finira amputé!) Je est un autre. Tant pis
pour le bois qui se trouve violon, et Nargue aux inconscients qui
ergotent sur ce qu’ils ignorent tout à fait. »
Dans Délires I,
Vierge folle, la phrase « Quelle vie! La vraie vie est absente. Nous ne
sommes pas au monde. » est à rapprocher d’une pensée analogue qui semble
avoir persisté chez Arthur Rimbaud, en témoigne une lettre aux siens
datée du 15 janvier 1885 : « Enfin le plus probable, c’est qu’on va
plutôt où l’on ne veut pas, et que l’on fait plutôt ce qu’on ne voudrait
pas faire, et qu’on vit et décède tout autrement qu’on ne le voudrait
jamais, sans espoir d’aucune espèce de compensation ».
Est-ce là
une prémonition des actions opérées à notre insu par l’inconscient ?
FIN
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