mercredi 21 décembre 2016

Je nettoyais le revolver de Rimbaud et le coup est parti tout seul!

                       Je nettoyais le revolver de Rimbaud et le coup est parti tout seul!




Chez un antiquaire qui souhaite garder l'anonymat, je me suis offert ces jours-ci un révolver Lefaucheux, même époque et même type de système que celui qui a été vendu chez Christies mais j'ai payé mon petit fantasme 80 euros soit 5000 fois moins cher que sa cote actuelle !

 En effet, celui qui a acheté l'arme présumée authentique qui aurait servi à Verlaine à blesser Rimbaud a déboursé pas moins de 435 000 euros et des poussières (de poudre à canon). Outre le record hallucinant qu'on enregistre au crédit de la "passion Rimbaud" , on mettra de côté le caractère anecdotique de cette ustensile dans l'oeuvre-vie" du poète maudit. 

Car à ce prix, à la différence d'un manuscrit original ou d'une photographie inédite, l'acheteur ne peut s'appuyer que sur sa foi dans la garantie des experts. Il n'a aucun moyen tangible de vérifier par lui-même si cette arme de poche a bien été dans la main de Paul Verlaine. 


La preuve majeure des experts consistant à affirmer qu' elle n'a servi qu'une fois, et qu'elle provient de la famille de l'armurier qui l'avait récupérée après le procès. Il peut sembler étonnant que cette arme ait été conservée plus d'un siècle dans un tiroir sans qu'on y songe à en tirer quelque profit auparavant. 
D'ailleurs, en théorie, l'arme appartient toujours à Verlaine, ce dernier a juste oublié d'aller la réclamer à l'armurier après son séjour en prison en Belgique pendant deux ans. Les descendants de Verlaine peuvent-ils tenter quelque chose ? Non car, après un et un jour, personne n'ayant récupéré l'arme, c'est comme pour un objet trouvé, il appartient à celui qui l'a trouvé. Il demeure curieux que l'armurier l'ait conservé si longtemps. 

Par ailleurs, un collectionneur ardennais prétend lui aussi être en possession depuis plus de cinquante ans de l'authentique Lefaucheux de Verlaine. Mais entre 1873 à nos jours, l' arme qu'il possède a servi pour tirer d'autres balles, ce qui compromet sa "quasi-virginité." 

Nous avons donc d'un côté une arme quasi neuve d'époque, conservée comme une relique pendant 120 ans, certifiée par Christies, et une autre arme d'époque, certes, mais qui a circulé de mains en mains pendant la même période.



 Pour revenir à mon petit revolver, il est un petit peu différent, son canon est octogonal, et la crosse est différente mais il fonctionne sans pouvoir tirer de balles, car ce type de munition n'est plus fabriqué. Il est donc inoffensif. 
Quant à son histoire, je l'ignore mais je peux me permettre de tout imaginer. Il a pu appartenir à un bourgeois noctambule, à une prostituée, à un tricheur au jeu souhaitant se prémunir contre tout règlement de compte, à un mari jaloux, à un meurtrier ou à un suicidaire, peut-être tout à la fois et successivement !!! 


Car il ne faut pas se voiler la face, cela reste une arme fabriquée et apte à tirer des projectiles. Posséder en poche un tel revolver impliquait qu'on puisse un jour le pointer sur un adversaire pour le menacer, pour le blesser et pour le tuer. 
Ce petit objet ira prendre une retraite méritée dans ma vitrine, à côté d'une montre à gousset , d'un appareil photographique identique à celui que Rimbaud utilisait en Afrique et d'autres objets anciens évoquant cette même période.

samedi 9 avril 2016

« Rimbaud l’Ardennais » Compte-rendu de la conférence de Yanny Hureaux


Conférence donnée par Yanny Hureaux à l’auditorium du Musée de l’Ardenne de Charleville-     Mézières le 19 mars 2016.

« Rimbaud l’Ardennais »

    La conférence de ce jour s’inspire du livre  « Un Ardennais nommé Rimbaud »  (La nuée bleue/ L’Ardennais 2003)  et publié la première fois en 1991 sous le titre « les Ardennes de Rimbaud »  aux éditions Didier-Hatier.




Yanny Hureaux se souvient d’avoir répondu à une commande de l’éditeur qui souhaitait un livre qui sorte de l’ordinaire. Il fallait se démarquer des publications prévisibles pour le centenaire de la mort du poète.  Yanny Hureaux qui a été longtemps professeur agrégé d’histoire et géographie,  est chroniqueur dans le journal « L’Ardennais ». Il est également  l’auteur de plusieurs romans, guides et essais sur les Ardennes.


 Il se défend toutefois d’être un authentique rimbaldien et c’est pourquoi il a hésité avant d’accepter.
Yanny Hureaux est surtout Ardennais.  Il s’est demandé ce qu’il y avait d’ardennais chez Arthur Rimbaud, lui qui n’avait eu de cesse de quitter son pays natal et dont l‘œuvre a connu une renommée internationale.  La biographie de Pierre Petitfils lui apprend qu’après sa naissance, Arthur a été mis en nourrice chez des cloutiers dans le village de Gespunsart, où Yanny Hureaux habite, et où vivait déjà sa famille au XIXe siècle. Ce  point commun le touche et l’aide à se décider.  

Place du village de Gespunsart

En relisant les « Souvenirs familiers à propos de Rimbaud, Verlaine et Germain Nouveau » par Ernest Delahaye, il découvre à la fois que Rimbaud a été un adolescent ardennais ordinaire et que son ami Ernest, avec qui Arthur se promenait souvent dans la campagne ardennaise, a été vraiment le premier à découvrir le génie précoce d’Arthur.
Déformation professionnelle oblige, il s’agit donc de replacer la comète Rimbaud dans son contexte géographique et historique .
Arthur est né sous le Second Empire et il est encore adolescent quand l’Empire s’effondre après la capitulation de Napoléon III à Sedan, à vingt kilomètres de Charleville.  C’est dans les archives locales, comme le « Courrier des Ardennes » qu’on peut trouver les traces palpables de la famille Rimbaud. Le 18 août 1854, par décret ministériel, le capitaine Frédéric Rimbaud est décoré de la Légion d’Honneur. Mais cette information citée de cette manière ne convient pas à son épouse Vitalie, née Cuif, qui la fait rectifier en « décret impérial »  considérant que l’adjectif ministériel a une connotation  trop républicaine. Il y a en France à cette époque un véritable culte pour Napoléon III, bien plus populaire encore que le très guerrier Napoléon Ier.
La même source révèle aussi des informations précieuses notamment dans les faits divers comme dans les annonces légales. En 1863, la ferme des Cuif à Roche a été en partie détruite par un incendie. Le logis a été épargné. Quelques temps plus tard, la ferme est mise en vente.









Yanny Hureaux insiste sur l’importance de Roche. C’est selon lui à Roche qu’on est le plus proche de Rimbaud. En même temps, aujourd’hui, à part un mur en ruine et un lavoir reconstitué, il ne reste plus rien de la ferme où fut écrit en 1873  « Une saison en enfer ». Mais pour Yanny Hureaux, à Roche, « il n’y a rien et il y a tout. C’est le néant anéanti ».Yanny Hureaux cite l’exemple d’un universitaire japonais ému aux larmes en touchant le mur vestige de la ferme. Julien Gracq aurait eu le même choc en s’y rendant.
Pour comprendre l’importance de Roche, rappelons que  Jean-Nicolas Cuif le père de Vitalie et grand-père d’Arthur est en quelque sorte un hobereau. Sa ferme est la plus importante du secteur. Il possède des terres. Mais il a aussi le malheur d’être veuf trop tôt. Il va devoir élever seul ses trois enfants, Vitalie et deux grands frères, Charles-Auguste et Charles-Félix, ayant fait le choix de ne pas se remarier. L’éducation des garçons n‘est pas des plus glorieuses: l’un est obligé de s’exiler en Algérie suite à une « affaire de mœurs » ( il sera souvent évoqué sous le sobriquet de « l’Africain ») l’autre frère, ouvrier agricole, est porté sur l’alcool. Même s’il atteindra l’âge vénérable de 93 ans au vu de cette addiction, il réclamera  « du pinard » au prêtre venu recueillir ses dernières volontés.

 Soit dit entre parenthèses, l’histoire de cet oncle « Africain » crée un troublant précédent si on songe au destin d’Arthur, et on s’interroge à juste titre sur les lois mystérieuses de l’atavisme.

Toute l’attention du père va donc se porter sur sa fille dont il faut sauver l’éducation. On ne peut pas dire que monsieur Cuif soit radin, plutôt économe. Il espère trouver un bon parti en mariant sa fille. 

A cette époque, les villes  de Mézières et Charleville sont voisines mais s’opposent dans leurs aspects. La première est une ville de garnison, au rôle défensif avec une forteresse, d’épais remparts bordés des douves et une cité qui n’a presque pas changé depuis le moyen-âge. Mézières est une ville austère et grise même lorsqu’il fait beau et contraste avec Charleville dont la place Ducale, sœur jumelle de la place des Vosges à Paris, est un fleuron, le caprice d’un duc italien de Mantoue Charles de Gonzague.

Place Ducale de Charleville



Les immeubles de la rue principale menant à la place ont de belles façades avec des alcôves où nichent des statues classiques.

Bien centré dans le prolongement, on aperçoit le moulin à eau, avec sa colonnade baguée de style ionique et son fronton triangulaire. Ses deux arches enjambent le petit bras de la Meuse encadrant une île au cadre bucolique. Charleville est une ville prospère et gaie.


En 1853, le square de la gare est encore champêtre. La gare est en bois, le train est un moyen de transport encore très récent.  L’orchestre du régiment de Mézières vient chaque jeudi soir y jouer une aubade en plein air. Le capitaine du 47° régiment d’infanterie Frédéric Rimbaud et Vitalie Cuif se sont rencontrés en cette occasion  Les choses ne trainent pas avec un militaire. « A un train d’artillerie » dirait-on, les voilà rapidement mariés et la même année, leur premier fils Jean-Nicolas Frédéric vient au monde.




Puis vient le tour de Jean-Nicolas Arthur en octobre 1854, et deux filles, Vitalie et Isabelle, naitront en 1858 et 1860. Une première Vitalie née en 1857 est morte âgée de quatre mois.  Vitalie Rimbaud, née Cuif, connaît en tout cinq grossesses en moins de sept ans puis un abandon de famille.







Yanny Hureaux tient à revisiter le mythe de cette mère odieuse qu’a été Vitalie Cuif pour Arthur. Il nous rappelle que cette famille avec quatre enfants a connu des conditions de vie particulièrement difficiles . Jean-Nicolas Cuif, le père de Vitalie meurt en 1858. Le frère « Africain » de retour d’Afrique s’est installé à la ferme de Roche et Vitalie n’a pas de bonnes relations avec lui.    En 1860, le capitaine Frédéric Rimbaud déserte définitivement son foyer familial, et à cette époque, la pension alimentaire n’existait pas. De l’immeuble cossu de la rue Napoléon, la mère doit déménager dans la rue Bourbon, plus populaire, où selon elle, on y côtoie  les bas-fonds. Aux problèmes affectifs s’ajoutent les problèmes financiers. Le poème « les poètes de sept ans » a été écrit dans ces lieux et évoque cette misère ambiante qu’on retrouve aussi dans les « Effarés » et dans « Les étrennes des orphelins ».
Pourtant, Mme Rimbaud qui au statut d’épouse abandonnée préfère se présenter comme veuve n’aspire qu’à tirer ses enfants vers le haut. Bien que paysanne, elle a reçu une éducation stricte dans une institution religieuse. On ressent cette rigueur morale et cette exigence de dignité avec toutefois beaucoup de subtilité et de pudeur dans ses correspondances.
Selon Yanny Hureaux, la fuite du père d’Arthur a eu bien plus d’influence sur la névrose de son fils que l’éducation tyrannique de la mère. Il n’y a rien de plus présent qu’un père absent. Pourtant, si ce père pouvait manquer autant à son épouse qu’à ses quatre enfants, c’est Arthur qui va le mieux se démarquer, en dépit de l’enfermement maternel, tout en « suant d’obéissance ».  Car autant, Frédéric, le grand frère est assimilé à « l’idiot de la famille »  comme dirait Sartre, autant Arthur est un surdoué. Il rafle tous les prix de son collège, fait la fierté de ses professeurs comme de sa mère. Le jeune Arthur a un don.
Il est génial, mais il est malheureux.
 La famille a enfin quitté la rue Bourbon pour s’installer sur le quai face au vieux moulin, l’actuel Musée Rimbaud. Aujourd’hui, l’immeuble dont la famille n’occupait qu’un étage abrite la « Maison des Ailleurs. »





Mais pour l’heure, Arthur n’a pour s’évader que la Meuse qui coule devant ses fenêtres. C’est son échappatoire, un peu comme la mer, qu’il n’a encore jamais vue et qu’il découvrira en juillet 1872 en partant en Angleterre. Il aime sauter dans la barque des tanneurs et se laisser dériver, préfigurant « Le bateau ivre ».  Pourtant avec les tanneries et l’abattoir en amont, la Meuse est sur cette portion un cours d’eau boueux, nauséabond et ensanglanté. Elle est bien  loin de son aspect actuel et encore plus loin de la poésie!






Son autre évasion, c’est justement la poésie. Mais si les premiers poèmes sont déjà remarquables, ils n’auraient pas été suffisants pour qu’ Arthur devienne Rimbaud.
Il ne fallait plus qu’une étincelle mette le feu aux poudres et cette étincelle, ce sera la guerre de 1870 et l’invasion prussienne. Le premier déclencheur arrive quand la mobilisation générale est décrétée. Le régiment de Mézières est en première ligne. Les civils s’enrôlent dans la garde nationale. Frédéric s’y engage comme cantinier à l’insu de sa mère. Arthur est refusé, trop jeune. Alors il fugue. Et la mère, sans nouvelles de ses deux garçons, panique.
« Arthur implose tout en explosant » nous dit Yanny Hureaux.

Son périple qui lui fait d’abord gagner la Belgique s’achève à la gare du Nord à Paris où il est arrêté sur le quai  et conduit à la prison de Mazas. Il écrit à son professeur de rhétorique, Georges Izambard qui le fait sortir de prison. Arthur séjourne avec son libérateur à Douai pour retarder le moment où il devra affronter la colère de sa mère. Il participe à des réunions politiques et rédige un compte-rendu publié dans Le libéral du Nord. C’est à Douai qu’il a rencontré l’auteur Paul Demeny à qui il a confié vingt-deux de ses poèmes,  et à qui il enverra en mai 1871 l’une de ses deux lettres dite « du Voyant ».
    Le processus est enclenché. Rimbaud fugue à nouveau avec le projet de devenir journaliste. Il passe par Fumay où résident deux camarades de classe, Léon Henry et Léon Billuart dont les parents tiennent un café où Rimbaud a pu trouver le gite pour la nuit du 7 au 8 octobre 1870. Dans une lettre, aujourd’hui perdue, Rimbaud raconte:  «  J’ai soupé en humant l’odeur des soupiraux d’où s’exhalaient les fumets des viandes et des volailles rôties des bonnes cuisines bourgeoises de Charleroi, puis en allant grignoter au clair de lune une tablette de chocolat fumacien ».

Fumay


La première biographie de Rimbaud par Jean Bourguignon et Charles Houin précise qu’après avoir dîné, couché et déjeuné chez son ami qui le munit d’un peu d’argent et d’une lettre de recommandation pour un sergent de mobiles en garnison à Givet, Arthur Rimbaud reprit la descente de la vallée de la Meuse.     
Le fort de Charlemont à Givet, près de la frontière belge

Il a cherché ensuite à se faire embaucher au  Journal de Charleroi » Charleroi en Belgique. En vain, puisque le 11 octobre après un bref passage par Bruxelles, il est de retour à Douai où il loge à nouveau chez les sœurs Gindre. Il rentre ensuite à Charleville, subir la colère maternelle. Vitalie Cuif comprend qu’elle a un enfant génial tout en craignant ses ambitions peu orthodoxes.

En effet, ayant renoncé à poursuivre ses études, Arthur fugue à nouveau fin février 1871 à Paris où il s’incruste littéralement chez le journaliste et caricaturiste André Gil qui le met dehors. Arthur fréquente les librairies, Lemerre l’éditeur du passage Choiseul, et les Éditions des Arts où Paul Demeny a fait publier ses pièces de théâtre.

Un ami, Charles Bretagne, membre d’un groupe anarchiste de Charleville, conseille à Rimbaud d’envoyer ses poèmes à Verlaine.
En septembre 1871, Arthur arrive à Paris, accueilli dans la famille de l’épouse de Paul Verlaine, Mathilde Mauté qui dans son journal écrit : « il arrive un fauve! ».  Quand Paul Verlaine rencontre le fauve, on peut véritablement parler de coup de foudre. Verlaine a croisé le regard du génie. Mais c’est un génie capricieux, intenable, et tyrannique.
Il convient de ne pas charger Paul Verlaine qui n’est pas le plus pervers des deux. Verlaine, on le verra dans ses lettres et sa conduite, est capable de remords mais Rimbaud, non.

Le jeune poète est un être profondément désespéré, amer, moqueur, sarcastique, en décalage permanent avec la société. Il insulte tout le monde, les curés, sa mère, il se conduit mal. Les poètes parisiens le déçoivent autant qu’Arthur est capable de déconcerter jusqu’à  ceux qui le défendaient. En fait, à peine arrivé à Paris, le petit provincial ardennais s’ennuie. Sa vie passée et celle à venir sont marquées par le sceau du désespoir et de l’ennui.
Quand il connaît une période de dépression à Londres, il peut compter  sur sa mère et ses sœurs, notamment Vitalie ( qui le note dans son journal) se déplaçant spécialement pour lui remonter le moral.
Dans une lettre que Vitalie Cuif écrit à Paul Verlaine (qui avait précédemment menacé de se suicider ) elle le sermonne comme une mère en lui reprochant sa lâcheté, lui rappelant qu’à chaque fois que des enfants désobéiront à leurs parents, ils se rendront malheureux. Elle ajoute dans une superbe litote, digne de Pierre Corneille : « Vous voyez que je ne vous flatte pas. Je ne flatte jamais ceux que j’aime. »  ce qui en dit long sur la pudeur de ses sentiments.

Julien Gracq dit qu’un filin relie sans cesse Arthur Rimbaud à Charleville. Mais Yanny Hureaux souhaite redonner plus d’importance à la ferme de Roche, qui selon lui est le véritable port d’attache du poète.
Roche est le lieu de l’explosion définitive du poète, qui, trop lucide pour sombrer dans la folie, s’est trouvé toutefois au bord de la folie. C’est en effet à Roche qu’Arthur Rimbaud écrit en 1873: « Une saison en enfer » que sa mère aidera à faire publier.
La mère et ses sœurs forment pour Arthur un véritable clan, une tribu même, comme le souligne Gracq. Ce qui caractérise le côté tribal c’est autant la famille que l’attachement à la terre, l’enracinement et la culture de l’atavisme.
Vitalie, soeur d'Arthur
  



Quand Vitalie, sa petite sœur décède à l’âge de 15 ans en 1875, ce n’est pas par provocation mais par désespoir qu’Arthur se rase le crane pour assister à ses obsèques, tel qu’un dessin d’Ernest Delahaye en témoigne.                               
Dessin d'Ernest Delahaye

Roche est à la fois le repoussoir et le refuge du retour, là s’y fusionnent la haine et l’attrait.
En juin 1876, Arthur Rimbaud s’engage à Rotterdam dans l’armée hollandaise. Ce périple l’entraîne jusqu’à Java où il déserte. Après un retour sur un navire britannique qui fait escale à Sainte-Hélène, il de retour chez les siens à Roche juste à temps Noël.
Courant 1878, il va à Hambourg puis revient à Roche. En novembre 1878, après être passé par la Suisse, il embarque à Gênes pour l’Égypte puis travaille à Chypre. Mais il souffre de fièvre typhoïde et retourne se soigner dans ses Ardennes où il connaît en 1879 un des hivers les plus humides et froids de sa vie.

En 1880, Rimbaud quitte Roche, il n’y reviendra que onze ans plus tard, malade, presque mourant. Mais durant toutes ces années d’exil, il ne rompt pas le cordon. Les lettres qu’il adresse aux siens  l’attestent. Il gère les affaires familiales à distance. Il  envoie de l’argent et  conseille sur la manière de l’utiliser, d’acheter des terrains, de faire tel placement pour tel rendement. Il commente tout et veut intervenir dans les choix de vie de sa famille, encourageant d’un côté sa sœur  à se marier et moquant son idiot de grand frère: « Ça  me gênerait assez, par exemple, que l’on sache que j’ai un pareil oiseau pour frère. […] c’est un parfait idiot et nous admirions toujours la dureté de sa caboche. ».  Frédéric était sur le point d’épouser, sans le consentement de sa mère,  une jeune femme de 19 ans déjà mère d’une fille.  Arthur confie son souhait de fonder une famille à son tour. Il termine ses correspondances par des vœux de réussite à ses proches et glisse ça et là des considérations désabusées trahissant ses déceptions personnelles. «  Santé et vie sont plus précieuses que les autres saletés ».
Plus tard, Arthur apprendra par sa mère que Frédéric et Paul Verlaine se fréquentent. Ce dernier  s’est installé dans la région et cherche sans doute à renouer  le contact avec les Rimbaud en soudoyant son « maillon faible » à l’aide de boissons.  Arthur blâme son frère et souhaite désormais qu’il soit définitivement tenu à l’écart des biens qu’il prodigue à sa mère et sa sœur.  
Isabelle Rimbaud, peint par son mari, Paterne Berrichon


En avril 1891, Rimbaud tombe malade et doit quitter Harar. Il se fait amputer du genou sur le trajet du retour à Marseille et regagne les Ardennes en juin.    
On vient le chercher en charrette à la gare de Voncq. Mais la maladie (cancer ou gangrène?) se propage. Il ne supporte plus la souffrance de son moignon qui ne cicatrise pas. Isabelle le soigne comme elle peut, lui faisant boire des tisanes de pavot. Elle est autant une sœur attentionnée qu’une garde-malade dévouée .Mais c’est plus fort que lui, il  veut repartir.




Arthur rate une fois le train de Voncq à cause de la jument Comtesse qui traine du sabot. Il prend le train du lendemain, et trois jours plus tard, il est à l’hôpital de Marseille où il espère être mieux soigné puis, dès que son état le permettra, être à proximité du port pour repartir en Abyssinie. Hélas, son état empire, et Arthur Rimbaud rend l’âme au lendemain d’une troublante lettre où il demandait des détails sur son embarquement imminent.

Arthur Rimbaud est enterré au cimetière de Charleville auprès de sa sœur, Vitalie et son grand-père Jean-Nicolas Cuif. Pourquoi Frédéric était-il absent aux obsèques, écarté ou non informé? Plus tard, sa mère l’y rejoindra.  Isabelle, son mari Paterne Berrichon, Frédéric y sont peut-être aussi mais n’ont pas leurs noms inscrits sur la pierre tombale.










Yanny Hureaux considère que c’est à Roche qu’Arthur et sa famille devraient être enterrés, car Vitalie Cuif native de Roche se considérait presque comme une immigrée à Charleville.
Il pense aussi que le hameau de Roche devrait être  davantage mis en valeur et mieux intégré dans le parcours que les rimbaldiens suivent quand ils viennent en pèlerinage sur les traces d’Arthur Rimbaud.

                                                              
Le mur, seul vestige du logis de la ferme de Roche







Yanny Hureaux
                    
                                                                                     FIN

mardi 22 mars 2016

Equinoxe carolopolitaine











Ce week-end du 19-20 mars 2016 qui correspondait à la fois à l'équinoxe de printemps et aux derniers jours du printemps des Poètes  aurait dû être le point d'orgue de cette manifestation nationale, à plus forte raison à Charleville-Mézières, la ville natale d'Arthur Rimbaud souvent reconnu comme le génie mondial de la poésie.

Mais comme une équinoxe où le jour et la nuit sont d'égale longueur, le sentiment ressenti est parfaitement mitigé. Nous avons éprouvé de façon symétrique et opposée autant de plaisir que de déception.


Le plaisir, c'était d'abord d'être à Charleville.
C'était aussi d'assister à une conférence de Yanni Hureaux.  Un régal et pour certains d'entre nous, venus de Paris, un motif suffisant à lui seul.
Étrangement, cet événement ne mobilisa pas comme il l'aurait mérité.

Notre délégation parisienne de l'association des amis de Rimbaud s'attendait à un accueil un peu plus chaleureux en cette matinée glaciale. Nous ne venions pas d’Éthiopie, certes, quoique certains d'entre-nous, de l'association Charleville-Harar, s'y trouvaient encore il y a trois mois. Pour trois amis de Rimbaud, c'était leur première visite à Charleville, motivée par Arthur Rimbaud.
 L'époque semble révolue où ces visiteurs étaient accueillis à bras ouverts par le maire en personne avec un verre d'amitié.
Aucun membre de l'équipe municipale n'est venu nous rencontrer à un quelconque moment de la journée dont le programme avait été publié dans le journal.
Une ballade dont le parcours est annoncé, un déjeuner à "l'eau à la bouche" un restaurant servant une cuisine locale traditionnelle, une visite groupée du Musée Rimbaud puis une conférence d'une personnalité régionale dans l'auditorium du Musée de l'Ardenne, dans une ville quasi déserte.


Même Yanni Hureaux a dû se dire ce jour là que décidément, nul n'est  prophète dans son pays.

Mais les admirateurs d'Arthur savent le temps qu'il a fallu pour que Charleville célèbre son poète. Tout d'abord, ce fut une légère évocation  dans une salle dans le Musée de l'Ardenne, puis une salle entière. Puis cette salle fut transférée dans le vieux moulin, édifice contemporain de la place Ducale, qui au fil des années et depuis le centenaire de sa mort en 1991, est devenu le Musée Rimbaud; et enfin jusqu'à la dernière mouture inaugurée en 2015 sur laquelle il y a hélas plus matière à critiquer qu'à s'esbaudir .

Faisons notre autocritique. Plutôt que l'auditorium du Musée de l'Ardenne, nous aurions dû pour plaire au plus grand nombre choisir comme cadre une péniche sur la Meuse, allumer les lampions, faire venir un accordéoniste et que le vin coule à go-go !
Peu importe qu' on dénature l'oeuvre de Rimbaud par de grotesques célébrations; si les gens sont heureux de faire la fête, c'est le principal. Pour célébrer Rimbaud, point de bavardage ennuyeux et besogneux, dansons, chantons, buvons.
"Panem et circenses"; les empereurs de Rome avaient tout compris avec 2000 ans d'avance !

Hélas, Rimbaud n'a 1000 ans d'avance que depuis seulement un siècle et demi. Nous ne connaîtrons pas son véritable avènement, mais dans 800 ans, les historiens auront bien du mal à comprendre notre façon de valoriser notre patrimoine culturel.


Il en va de même pour la nouvelle scénographie du Musée Rimbaud, pensée par les mêmes cerveaux compliqués que la Maison des Ailleurs, située sur le quai Arthur Rimbaud adjacent au moulin Musée. 

Vouloir comme Arthur  "s'entêter à adorer affreusement la liberté libre" n'excuse pas tout. Et d'avoir défiguré un monument ancien, à savoir probablement le plus beau moulin à eau du monde, il faudra bien n'être pas Ardennais pour le pardonner .   

Aussitôt passé la porte principale, nous changeons de dimension. L'extérieur raffiné et exceptionnel était un leurre; nous croyions entrer dans un temple avec ses colonnes ioniques à bagues, nous sommes dans une cage d'escalier étriquée, noire, sombre, avec des ampoules bleues sur le mur noir que l'on peut confondre avec des patères lumineuses pour vestiaire branché de night-club.
Pour commencer, il faut monter dans le grenier pour redescendre ensuite. Une ascension, pour gagner l'ivresse de l'altitude puis la descente aux enfers ?
Ou bien l'illustration de cette phrase de Rimbaud : "Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j'ai connu le monde" ("Vies", Les Illuminations) .
Dans le grenier du vieux moulin repeint de blanc gris-bleuté, il n' y a que des chaises sous des douches sonores qui livrent des emboitements de poèmes, si on a la patience de les écouter .
"On ne part pas
" du grenier sans une certaine interrogation .
Au niveau inférieur, le deuxième étage, des vitrines sont adossées à la monumentale cage d'ascenseur, cube métallique  évoquant une "panic room" ou un bunker. 


Le progrès des Ardennes où Arthur publia en 1870 Le rêve de Bismarck sous le pseudonyme de Jean Baudry

L'intrigant cabinet de curiosités
L'étage intitulé "rêveries" présente un mélange d'oeuvres contemporaines en hommage à Rimbaud et des documents biographiques dont la plupart sont reproduits sur des écrans de smartphones.  Pour nous guider, il faut arracher une feuille explicatives d'un bloc fixé au mur. 
Poser une étiquette à côté des pièces présentées doit être d'un ringard !  L'organisation n'est pas chronologique. On cherche la cohérence.
Rimbaud blessé
Peut-être faut-il partager le génie chaotique de Rimbaud pour comprendre "que ça veut dire ce que ça dit et dans tous les sens" !
Une salle dite des manuscrits est plongée dans le noir tandis que dans une vitrine, une lumière rouge irrigue quelques lettres et photographies, sans doute originales vu le luxe de soin pour leur préservation. Il faut être graphologue pour déchiffrer l'écriture menue de Rimbaud. Le même texte imprimé en renfort de lecture n'aurait pas été de trop.





Finalement, la cabine de l'ascenseur est définitivement le seul espace vraiment compréhensible.  Il y a des boutons avec les chiffres correspondant aux étages, et d'autres commandant l'ouverture ou la fermeture des portes.  
Car sorti de l'ascenseur, le visiteur est à chaque étage dans un monde incompréhensible, hermétique, conceptuel, abstrait. Une fois de plus, Rimbaud est desservi par ceux qui croient lui rendre hommage.
Le problème supplémentaire est que l'ascenseur - sans doute obligatoire pour les handicapés - a défiguré l'intérieur du musée et même l'extérieur car sa cage cubique dépasse sous les arches du moulin.


Les Carolopolitains ne sont pas prêts de se réconcilier avec leur enfant maudit, jugé à tort responsable de ces hommages outrageants pour le patrimoine architectural. Rimbaud n'aurait pas demandé ça.

Ma dernière stupeur a lieu en empruntant la passerelle sous l'arche à la découverte d'une affiche originale d'Ernest Pignon-Ernest, jadis collée sur un des piliers dans la salle principale du Musée.  Remise ici, quelques mètres au dessus du lit de la Meuse, elle reçoit toute l'humidité possible. Des traces de ruissellement ont déjà attaqué la moitié de l'oeuvre.  Qu'en restera t'il dans quelques années ? Bien sûr, l'artiste est un spécialiste de cette démarche consistant à voir le temps naturellement opérer. Mais quand il avait fait don de cette affiche, rescapée de sa série de 1978, elle était destinée à demeurer intacte à l'intérieur du musée. 


Quelle contradiction de voir un support papier livré à l'épreuve de l'eau  en comparaison de l'excès de précaution pour exposer dans une lumière de sous-marin ou digne d'un reliquaire moderne des photographies et des lettres de la fin du XIXème siècle quand à la Bibliothèque Nationale, on peut admirer des enluminures médiévales bien mieux éclairées !
Nous sortons de là "effarés" et gagnons l'île, défigurée elle aussi, par un jardin de fleurs blanches symbolisées par des loupiotes blanches suspendues propres à éclairer un bal musette et menant à un belvédère urbain en béton gris nommé "adieu". C'est le mot de la fin et c'est exactement ce qu'on se dit.  Adieu, je ne suis pas prêt d'y remettre les pieds.



Même les saules qui pleuraient dans la Meuse ont été coupés. Il n'en reste que les souches.  Et ce n'est pas un accident. C'était prévu dans le plan. Rénovation rime avec destruction.On se demande quelle est la mission d'un conservateur du patrimoine ? 






"La vraie vie est absente" ....du Musée Rimbaud. 
Mais nous en retrouvons heureusement quelques fragments distillés avec amour et humour par Yanni Hureaux, nous réconciliant aussi avec Rimbaud et les Ardennes, à des années lumières de cette rimbadolatrie qui saccage tout. 
En marge de sa conférence, Yanni Hureaux nous dit qu'il y a antagonisme entre Rimbaud  et le principe de musée. Concevoir un "atelier Rimbaud" eut été plus approprié, un lieu vivant ou néophytes, amateurs et spécialistes y auraient trouvé matière à recherche, découverte et même expression, échange. Un concept qu'il a suggéré aux autorités concernées. A t'il été écouté ? On se le demande, il est question de rebaptiser l'ensemble des lieux Musée Rimbaud plus maison des Ailleurs en "Pôle Rimbaud". En tant que tel, c'est déjà amusant à défaut d'être ridicule, on pense à Pôle Emploi. Mais surtout, on entend Pôle comme le Paul de Paul Verlaine. Lapsus lacanien ?  Heureusement qu'il n'y a pas de "Pôle Verlaine" en projet.
Yanni Hureaux le 19 mars au Musée de l'Ardenne

A venir, un compte-rendu de la conférence de Yanni Hureaux sur "Rimbaud l'Ardennais"



lundi 21 mars 2016

Constat à l'amiable de dégât des eaux (de la Meuse) sur oeuvre d'art.

 En général, Pignon Ernest laisse volontairement ses affiches se dégrader en plein air.
Pieta contemporaine à Rome, sur une pile de pont sur le Tibre.

 C'est sa démarche artistique. Il déchire parfois lui-même les bords de ses affiches.
L'artiste avait offert il y a un peu plus d'une quinzaine d'années une version à peu près intacte de son Rimbaud en pied. L'affiche était collée (ou marouflée) sur un pilier dans la salle du Musée :

L’œuvre emblématique de Pignon-Ernest encore à l'intérieur du Musée Rimbaud en 2009.

 Las, avec les travaux du nouveau musée, les volumes et les espaces ont été complètement modifiés. 

Je me demandais en entrant dans le musée où le Rimbaud de Pignon Ernest serait réinstallé.

J'ouvre une porte de fer et j 'emprunte une passerelle surplombant la Meuse (comme Rimbaud, j'ai fixé mon vertige) .
Et là, stupeur, je distingue l'oeuvre de Pignon-Ernest. Juste là, en plein air, à quatre ou cinq mètres au-dessus de l'eau. 

Pourquoi l'avoir mise là , pour la soumettre à l'humidité ou carrément à une future crue ? 
En 1995, la Meuse avait inondé  Charleville et atteint un niveau de 6,15m ! Sur le moulin, une plaque de niveau  rappelle la crue record de 1995. C'était il y a  à peine plus de vingt ans .
Mais comme le chante Aznavour dans "La Bohême" c'est un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître.  Ils ne connaissent que "Ma Bohème" de Rimbaud.

Rimbaud prend l'air et l'eau aussi..


La Meuse coule quelques mètres plus bas, quand elle n'est pas en crue.







Pas besoin d'attendre une crue, qui réchauffement climatique oblige est inévitable, la dégradation par l'humidité a déjà commencé. Regardez le ruissellement sur toute la longueur : 



Pourquoi exposer la "demi-bite" de Rimbaud au nouveau Musée ?

Une oeuvre bizarre trône dans le nouveau Musée Rimbaud.  Arthur est représenté à moitié nu, portant sur un seul côté son costume de première communion. Cette image est inspirée de la photo ci-dessous.
On peut quand même s'interroger autant sur la symbolique de ce tableau que sur l'intérêt de le faire figurer dans les collections dans la même salle que les portraits réalisés par Cocteau, Picasso, Léger, Valentine Hugo et Ernest Pignon-Ernest.
On dit que le diable se niche dans les détails. Mais pourquoi représenter le sexe d'Arthur en premier communiant ? J'avoue être passé à côté du sens de ce tableau.
Arthur lui- même aurait du mal à prononcer : "ça ne veut pas rien dire!"


Le plus dommage est que "Le coin de table de Fantin-Latour" n'est pas exposé.
Il devait être trop grand mais pas assez gland...