mercredi 9 mars 2016

Attavisme d'Arthur Rimbaud : une malédiction en héritage ?




Une conférence à laquelle j'ai assisté en janvier dernier m'a inspiré une série de réflexions concernant les phénomènes de transmission de la mémoire ancestrale dans la famille d'Arthur Rimbaud. 
Aux notes que j'ai prises durant cette conférence dont je salue au passage le travail extraordinaire,  j'ai ajouté un certain nombre d'éléments trouvés dans les différentes éditions des biographies et oeuvres complètes que ce soit celle de Robert Laffont (Coll° Bouquins) ou dans la même collection du Dictionnaire Rimbaud de Jean-Baptiste Baronian, ou enfin la biographie de Jean-Jacques Lefrère. (éd° Fayard)  .  Même si toutes les hypothèses ne sont pas encore solidement étayées, elles ne constituent pas moins des indices, voire des pistes à approfondir .

De nombreux évènements de la vie du poète maudit pourraient être les échos inconscients de faits douloureux vécus par ses ancêtres. En scrutant les vies des ascendants d’Arthur Rimbaud sur quatre générations et en se limitant à la branche paternelle,  des indices troublants éclairent différemment la vie de « l’homme aux semelles de vent ».
L'enquête doit rassembler  sur au moins quatre générations les éléments généalogiques consignés pour la plupart dans les registres de l’état civil et les documents de famille (noms, prénoms, dates de naissance, mariage, décès, composition des fratries, professions, etc.).
 Une attention toute particulière est par exemple accordée aux prénoms et aux noms, marqueurs identitaires.
Il convient pour étudier le cas de Rimbaud d’avoir accès à son arbre généalogique.
Les Rimbaud sont originaires de Nantilly en Haute-Saône où la famille est attestée dès la fin du XVIIème siècle. Les Rimbaud étaient ouvriers-vignerons, Gabriel (1680-1735) a eu parmi ses enfants Jean (né en 1730) qui nous intéresse car il est l’arrière-grand père d’Arthur Rimbaud.
Jean, cordonnier, épousa en secondes noces en 1777 Marguerite Brotte -ou Brodt - ( 1752-1829). Le couple devait mener une vie conjugale orageuse car à la suite d’une dispute, en 1792, Jean quitta le domicile et ne reparut jamais. De son union avec Margueritte était né Didier (1786-1852) qui avait donc 6 ans quand son père abandonna le foyer familial.
Didier se souvient peut-être (ou sa mère le lui a révélé) que son père était parti à pied et à moitié dénudé, voire même pieds nus. L’auditeur se demande avec facétie si le proverbe « les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés » trouve ici une origine ou une confirmation. Mais surtout est-ce pour conjurer le souvenir de la fuite du père en guenille que Didier, le fils, sera tailleur d’habits ? Ce qu’est devenu ensuite Jean nous reste inconnu. 
On peut signaler qu’un dénommé Rimbaud est impliqué pendant la Terreur à Dijon en 1794 mais il n’y a aucune certitude qu’il s’agisse de Jean.  Qu’il soit devenu un « sans-culotte » zélé ne manquerait pas de cocasserie dans la logique déjà citée plus haut. S’il disparaît sans laisser de trace, Jean lègue en revanche à ses descendants une « crypte encombrante » contenant le traumatisme de l’abandon de famille.

De son côté, Marguerite Brotte se remarie deux fois, d’abord avec un déserteur Danois puis avec Berger un forain qualifié de sans domicile fixe. Il est saisissant qu’une femme abandonnée par son premier mari soit amenée à rencontrer ensuite deux hommes marqués eux aussi par la désertion et l’errance! 

Didier exerce sa profession de tailleur à Parcey dans le Jura puis à Dole où il épouse en 1810 Catherine Taillandier qui lui donne quatre enfants dont le quatrième, Frédéric est né le 7 octobre 1814. Antoine Pacouret, un ami de la famille, est un militaire servant dans le 46ème Régiment d’Infanterie de Ligne. S’il n’a pas de lien de parenté avec les Rimbaud, il remplira la fonction de père de substitution et de héros de la famille pour sa participation dans les campagnes napoléoniennes. Antoine Pacouret est en tout cas une référence pour Frédéric Rimbaud qui embrassera lui aussi la carrière militaire dans le même régiment au début, ( et le 47ème ensuite en 1850) et qui comme lui encore sera décoré de la Légion d’Honneur, en 1854 quelques mois avant la naissance d’Arthur. Cette proximité de date entre la décoration du père et la venue au monde du fils n’est pas innocente car souvent le fantasme d’identification crée un fantôme et le porteur de ce fantôme se trouvera être Arthur Rimbaud.

Rimbaud le fugueur 

Arthur Rimbaud possède un goût addictif pour la fugue et pour la marche. Faut-il rappeler qu’avant d’abandonner définitivement le foyer familial, son arrière grand-père était compagnon cordonnier, statut qui implique un tour de France qui se faisait à pied.
 Quant à son père Frédéric, soldat dans l’infanterie, il était aussi par la force des choses un marcheur.
Le voyage, le mouvement et la marche apparaissent dès les premières lignes du collégien, dans un devoir en latin qui figure au début des œuvres complètes d’Arthur Rimbaud « Ver erat …» / « C’était le printemps.. » :
Ver erat, et morbo Romae languebat inerti Orbilius // C’était le printemps et Orbilius souffrait à Rome d’une maladie qui l’empêchait de bouger .
Pour sa convalescence Orrbilius gagne « les riantes campagnes » Puis quelques lignes plus loin: Interea longis fessos er oribus artus // Cependant, j’avais tous les membres rompus par mes longs vagabondages.
On remarque d’emblée une assonance entre le mot latin artus qui signifie membre (racine latine qui a formé le mot articulation ) et le prénom Arthur mais cela revêt une signification troublante en évoquant les circonstances de la mort à 37 ans de Rimbaud, amputé de la jambe droite et paralysé des autres membres, renvoyant au spectre de son personnage Orbilius.
Dans la suite du poème, un cortège aérien de colombes le soulève et le transporte vers les nues élevées où son front est ceint d’une « couronne de laurier tressé, semblable à celle d’Apollon » et Phébus lui-même écrit sur sa tête avec une flamme céleste: « TU VATES ERIS… // TU SERAS POETE ! »
Dans les années suivantes, Arthur Rimbaud n’aura de cesse de vouloir accomplir cette prophétie juvénile.
Et si Arthur remplace fantasmatiquement son aïeul Jean qui comme lui s’en est allé à pied sur la route, une résonnance supplémentaire est mise à jour entre l’ancêtre cordonnier, dont le métier est appelé en argot « bijoutier sur le genou » parce qu’il ferre les semelles avec des clous nommés bijoux, et celui que son ami Ernest Delahaye surnommera « l’homme aux semelles de vent ». 



Les deux premiers vers de « Ma bohème » l’illustrent parfaitement :

Je m’en allais les poings dans les poches crevées
Mon paletot aussi devenait idéal, 

Le paletot, pardessus, devenant idéal signifie qu’il n’a plus de paletot que le nom, c’est une idée de paletot. Ces vers pris isolément sont toujours aussi magnifiques mais en les rapprochant du souvenir de la fuite dénudée de son trisaïeul, ils résonnent de manière encore plus symbolique, argumentant l’idée d’une répétition dans le temps d’un acte ancestral. Même si cela reste pour le moment dans un registre purement poétique, ici affleure la racine d’un destin convié à épouser des chemins déjà pratiqués, que ce soit pour des vagabondages, des expéditions militaires, des pérégrinations d’agrément ou des voyages d’affaire.

La première fugue de Rimbaud a lieu pendant la guerre avec la Prusse en 1870. Tandis que le grand-frère Frédéric s’est engagé dans la garde nationale, Arthur en a été refoulé car trop jeune, il n‘a pas encore 16 ans. Sans prévenir sa mère, Arthur se rend à Paris fin août 1870 en passant par la Belgique mais se fait arrêter Gare du Nord à cause d’un billet de train non valide. Il est envoyé à la prison de Mazas d’où il sort en septembre grâce à l’intervention de son professeur Izambard. Avant de rentrer affronter le courroux maternel, il passe quelques jours salutaires à Douai où son professeur peut l‘héberger.

Les voyages d’Arthur Rimbaud peuvent également s’assimiler à une répétition du trajet du soldat Antoine Pacouret, le père de substitution de Frédéric. Arthur parcourt des distances quotidiennes comparables aux marches forcées des armées de Napoléon.

Dans «Une saison en enfer», il confesse avoir «vécu partout. Pas une famille d’Europe que je ne connaisse. » A cette date, il connaît déjà Paris, Londres et Bruxelles mais c’est après 1873 que ses périples s’intensifient. Dans son insatiable errance, Rimbaud visite les villes de Milan, Sienne Livourne en Italie (mai -juin 1875) Vienne en Autriche (avril 1876), Rotterdam aux Pays-Bas (mai 1876) , Semarang sur l’île de Java (juillet 1876) Stuttgart (février-avril 1875) et Brême ( mai 1877) en Allemagne. Le nom de Rimbaud est porté au registre des étrangers présents à Stockholm en Suède en juin 1877. Ernest Delahaye rapporte le voyage de Rimbaud en août 1877 à Copenhague au Danemark qui est pour rappel la patrie de Fransen le second mari de son aïeule Margueritte Brotte.

En novembre 1878, ce n’est certes pas la Berezina, mais Arthur Rimbaud narre dans une lettre écrite à Gènes son exploit récent : la traversée du Col du Gothard enneigé. Son expérience du « grand embêtement blanc» pourrait facilement se transposer dans l’hiver de la retraite de Russie de 1812.


 Il embarque pour Alexandrie le 19 novembre 1878 alors que son père vient de mourir à Dijon deux jours plus tôt. Rimbaud trouve du travail à Chypre où il reste six mois. En mai 1879, malade, Rimbaud rentre une nouvelle fois à Roche en France. Il retourne à Chypre l’année suivante au printemps 1880 puis au Yémen à Aden en juillet 1880. Enfin ce sera Harar en Ethiopie qui abritera sa résidence principale de 1880 jusqu’au début de l’année1891.

Dans «Une saison en enfer», Rimbaud préfigure le concept d’analyse transgénérationnelle en démontrant comment les égarements de son ascendance expliqueraient ses errances actuelles. A ce stade de la conférence, il nous apparaît avec évidence que plusieurs passages en particulier de « Mauvais Sang » illustrent de manière poétique une préscience de ce qui fondera un siècle plus tard le principe de la généalogie analytique: « J’ai de mes ancêtres gaulois l‘œil bleu blanc, la cervelle étroite et la maladresse dans la lutte […] Si j’avais des antécédents à un point quelconque de l’histoire de France! Mais non rien. » Puis Rimbaud fait une énumération fantasmée de toutes ces vies possibles dont il serait le maillon final dans une chaine de réincarnations successives de la même âme. « J’aurais fait manant le voyage de terre sainte, j’ai dans la tête des routes dans les plaines souabes, des vues de Byzance, des remparts de Solyme, […] Je suis assis, lépreux, sur les pots cassés et les orties, au pied d’un mur rongé par le soleil. - Plus tard, reître, j’aurais bivouaqué sous les nuits d’Allemagne. […] Qu’étais-je au siècle dernier : je ne me retrouve qu‘aujourd‘hui. »

Voyageur impénitent, Rimbaud espérait toutefois se fixer et fonder un foyer. Il avait critiqué à distance son frère Frédéric pour ses choix de vie et en même temps demandait à sa mère de lui trouver en France une épouse convenable. En Ethiopie, une expérience de vie maritale tourna court avec Mariam, une femme Danakil qu’il renvoya chez elle.



A part son compagnonnage, scandaleux pour l’époque, avec Verlaine, on ne connaît aucune liaison stable chez Rimbaud. Est-ce là encore l’effet obscur d’un atavisme familial opérant sur sa vie à l‘insu de Rimbaud ? Ayant vu son père Frédéric abandonner femme et enfants ( tout comme avant lui Jean) Arthur pouvait-il fonder une famille ? Peut-être mais pas avant d’avoir fait fortune.

A nouveau, c’est un passage de « Mauvais sang » qui semble esquisser ses velléités à moins qu’il ne prophétise partiellement son destin personnel: « Ma journée est faite; je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons; les climats perdus me tanneront. […] Je reviendrai avec des membres de fer, la peau sombre, l’œil furieux: sur mon masque on me jugera d’une race forte. J’aurai de l’or: je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. » L’épouse qu’il envisage pourrait être une femme dévouée à assurer le repos d’un guerrier fortuné mais blessé. Blessé, il le sera. Soigné par une femme également mais par sa sœur. En revanche, il a manqué son principal objectif: la fortune qu’elle soit acquise par les affaires ou par la guerre. N’étant décidément pas disposé à se faire guerrier, il aura vainement tenté de s’enrichir grâce à la guerre.

Rimbaud le déserteur

Un premier signe est repéré dans son ascendance; son arrière grand-mère, Marguerite Brotte épouse en secondes noces Fransen un déserteur Danois. Ce dernier meurt à 37 ans le 23 août 1797. C’est également un 23 août, en 1891, que Rimbaud revient se faire soigner à Marseille pour être à proximité du port et prêt à embarquer pour l’Afrique dès que son état le lui permettra. Il meurt moins de trois mois plus tard âgé à son tour de 37 ans.

Mais une autre coïncidence est mise en évidence: même si Fransen n’est pas son ancêtre direct, Rimbaud sera lui aussi déserteur. Engagé dans la marine néerlandaise dans la seule fin de toucher la prime de 300 florins (600 francs-or) , il a embarqué le 10 juin 1876 de Harderwijk près de Rotterdam et a déserté à Semarang sur l’île de Java pour réembarquer comme matelot, sous un faux nom, à bord un navire écossais, épargnant ainsi sa prime, et se trouver à Charleville en décembre de la même année.
Isaac Israëls, Het transport der kolonialen (Transport of the Colonial Soldiers), showing recruits for the Royal Netherlands East Indies Army marching through Rotterdam to their transport to the Dutch East Indies[1]
On a la trace que Rimbaud a tenté de s’engager à Brême dans la marine américaine par une lettre d’engagement dans laquelle il se déclare en toute sincérité déserteur de l’armée hollandaise et cite de fictifs états de service au 47ème régiment d’infanterie - celui de son père - car Rimbaud n’avait jamais effectué son service national. Ce qui fait de lui une deuxième fois un déserteur.

A ce propos, la crainte d’un rappel de ses obligations militaires par les autorités françaises l’a hanté perpétuellement au point d’indiquer un faux nom pour se faire admettre en mai 1891 à l’hôpital de Marseille où il subira son amputation. Cette infirmité l’exemptait de facto de tout service militaire mais il a négligé cette évidence dans sa névrose obsessionnelle et cela jusqu’au seuil de sa mort.
Peut-être faut-il voir dans la mauvaise conscience d’Arthur Rimbaud vis-à-vis de la chose militaire le leg encombrant d’Antoine Pacouret, le héros de la Grande Armée, vétéran de la campagne de Russie et blessé à la jambe gauche et au bras droit.

Alors que Frédéric s’est pleinement inspiré de ce père de substitution en participant à la conquête de l’Algérie ( embarquant lui aussi un 10 juin mais 35 ans plus tôt en 1841. Frédéric Rimbaud a pris part à la Guerre de Crimée, connaissant à son tour l’ennemi russe et a obtenu, en même temps qu’un poste important dans l’administration arabe, le grade de capitaine supplantant cette fois son modèle. Mais sa progression dans la hiérarchie militaire s’arrête là, freiné probablement par ce qu’on appelle une « névrose de classe » qui lui aurait fait passer un avancement supérieur pour une trahison. L’obtention de la Légion d’Honneur par Frédéric Rimbaud constitue probablement le point d’orgue de sa carrière égalant une fois de plus son modèle, Antoine Pacouret. C’est donc une fée en uniforme qui s’est penchée sur le berceau Rimbaud né quelques mois plus tard …rue Napoléon !

Dans la composition intitulée « prologue » le jeune collégien Rimbaud présente un père officier Colonel des Cent-Gardes à Reims en 1503 qu’il décrit comme un « homme grand et maigre, chevelure noire, barbe, yeux, peau de même couleur. […] Il était d‘un caractère vif, bouillant, souvent en colère et ne voulant rien souffrir qui lui déplût» Pense-t’il encore à son père conquérant l’Algérie quand dans une autre composition en latin cette fois « Jugurtha » le jeune Arthur célèbre « un nouveau vainqueur du chef des Arabes » ? Arthur se transpose t’il dans le fils promis à devenir le « vengeur de la patrie » ?

Dans le même texte Rimbaud voit du Jugurtha dans Napoléon « Napoléon ! Oh! ? Napoléon! …Ce nouveau Jugurtha est vaincu! …Il croupit, enchaîné, dans une indigne prison! » A la date où Rimbaud écrit ces lignes, il faisait allusion au sort de l’empereur à Sainte-Hélène, il lui aurait fallu des dons d’extra lucidité pour prévoir que Napoléon III capitulerait à Sedan en 1870 et finirait ses jours en captivité comme son auguste prédécesseur.

Arthur baigne véritablement dans la culture colonialiste du moment quand il rend hommage tant à son père qu’au rôle civilisateur de la conquête de l’Algérie par la France « La France va briser tes chaînes et tu verras l’Algérie, sous la domination française, prospère! »

Par la suite, en dépit de cet héritage glorieux, Arthur Rimbaud n’a jamais recherché les honneurs offerts par la carrière militaire. Il ne s’est enrôlé dans l’armée hollandaise que dans un but lucratif et malhonnête afin d’empocher la copieuse prime et de déserter à la première occasion, bref d’arnaquer l’armée, manière inconsciente de tuer son père en trahissant les notions d’honneur et de droiture qui avait régi sa carrière sous les drapeaux.

Mais Rimbaud prenait-il une revanche sur l’abandon de famille par son père en rompant un contrat d’engagement militaire ? Déserter son foyer est-il autre chose que la rupture d’un contrat de mariage?

Pourtant, le destin de Rimbaud tourne autour de l’armée, de la guerre et des armes.
Si les historiens se divisent sur sa participation à la Commune de Paris, il est plus probable que Rimbaud ait appris le maniement des armes dans cette période de menace d’invasion prussienne en assistant à Douai à un entrainement au tir avec son professeur Izambard.

C’est par un coup de pistolet tiré par Verlaine en juillet 1873 que sa liaison avec son ami prend fin. 








En Afrique, Rimbaud se fait trafiquant d’armes auprès de Ménélik. A plusieurs reprises, il exprime le souhait de couvrir le conflit entre l’Abyssinie et l’Italie en tant que correspondant de guerre se retrouvant ainsi dans la délicate situation de juge et partie.

 Pourtant, on peut voir dans ces ambitions un saisissant revirement d’opinion avec l’époque où il critiquait ouvertement ses compatriotes et concitoyens de Charleville assiégée dans la lettre qu’il adresse à son professeur Izambard le 25 août 1870: « C’est effrayant de voir les épiciers retraités qui revêtent l’uniforme! C’est épatant comme ça a du chien, les notaires, les vitriers, les percepteurs, les menuisiers et tous les ventres, qui chassepot au cœur, font du patrouillotisme aux portes de Mézières: ma patrie se lève! …Moi, j’aime la voir assise; ne remuez pas les bottes ! c’est mon principe. »



Le 17 avril 1871 Arthur confie auprès de Paul Demeny son overdose de la littérature de guerre au retour d’un séjour chez les libraires parisiens: « […] Que chaque libraire ait son Siège, son journal de siège -Le siège de Sarcey en est à sa 14e édition - que j’aie vu des ruissellements de photographies et de dessins relatifs au Siège. […] Telle était la littérature du 25 février au 10 mars. […] »

Rimbaud se montre ironique encore au sujet de l’idéal militaire dans les dernières lignes de «Mauvais sang » : « Feu ! feu sur moi ! […] Je me tue! Je me jette aux pieds des chevaux! […] Ce serait la vie française, le sentier de l’honneur ! » La recherche de l’honneur si cher à son père n’était décidément pas la priorité d’Arthur Rimbaud.






Rimbaud et son « autre Je » au seuil de la mort.



Dans ses correspondances, Arthur Rimbaud s’inquiétait de mourir loin de chez lui sans que personne n’en sache rien. Pourtant, pour l’état civil, Jean-Nicolas Arthur est mort à Marseille sous le nom raccourci de Jean Rimbaud. Sa mort le 10 novembre 1891 est passée inaperçue comme il le redoutait et l’enterrement s’est tenu en secret en présence de sa sœur Isabelle et de sa mère Vitalie. Frédéric son grand-frère n’y était pas convié. Même ses anciens amis apprendront sa mort avec retard tel Verlaine fin décembre 1891. Pareil pour Alfred Ilg l’ingénieur Suisse conseiller de Ménélik qui apprend la disparition de son ami français en 1892.


En 1871, l’ intuition que quelque chose d’impalpable agit sur nous s’était déjà révélée à Rimbaud et il le livrait dans la désormais mythique « lettre du voyant », prenant à rebrousse-poil le cogito ergo sum de Descartes: « c’est faux de dire je pense: on devrait dire : on me pense -pardon du jeu de mots - ( Avec on me panse. Lapsus lacanien prémonitoire pour celui qui finira amputé!) Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et Nargue aux inconscients qui ergotent sur ce qu’ils ignorent tout à fait. »

Dans Délires I, Vierge folle, la phrase « Quelle vie! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. » est à rapprocher d’une pensée analogue qui semble avoir persisté chez Arthur Rimbaud, en témoigne une lettre aux siens datée du 15 janvier 1885 : « Enfin le plus probable, c’est qu’on va plutôt où l’on ne veut pas, et que l’on fait plutôt ce qu’on ne voudrait pas faire, et qu’on vit et décède tout autrement qu’on ne le voudrait jamais, sans espoir d’aucune espèce de compensation ».

Est-ce là une prémonition des actions opérées à notre insu par l’inconscient ? 

                                                                       
                                                                                    FIN

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